Un long parcours
J'avais commencé les démarches
pour partir à l'étranger au début de ma dernière année à l'école normale (l'ISCaP,
à Bruxelles) auprès de diverses ONG, mais je me suis surtout consacré à ma candidature
auprès de Délipro, ONG qui me paraissait vraiment sérieuse, accueillante et qui
offrait des services complémentaires tels qu'une présélection des candidats et
une formation de préparation au départ intéressante.
Pendant
les vacances de Pâques 1990, j'ai également suivi la formation AGCD en résidentiel
au château de ?, formule que je conseille vivement. C'est pendant cette
formation que j'ai reçu ma première offre d'emploi : un poste de directeur, enseignant
et formateur pour les autres enseignants (rien que ça !) à la petite école belge
de Gitega, au Burundi. Mais je n'étais pas très "chaud" pour ce
poste exceptionnel : je ne me voyais pas vraiment en tant que directeur et formateur,
tout de suite en sortant de l'école normale et pour mon premier départ à l'étranger,
et de plus les conditions étaient...euh...peu enthousiasmantes : 6000 BEF (+/-
150 USD) de salaire sur place, 15 000 BEF d'indemnité en Belgique et un logement
de fonction. J'ai donc attendu, et en un sens j'ai bien fait...
L'Ecole
Belge de Goma
En mai (?) j'ai reçu une autre offre d'emploi
par l'intermédiaire de Delipro : un poste d'instituteur à l'Ecole Belge de Goma,
au Zaïre. J'ai rencontré la représentante de l'école lors de son passage
en Belgique, et nous avons signé mon contrat ! Vous ne pouvez pas imaginer
ce que j'ai ressenti avec ce contrat entre les mains, mon premier contrat d'emploi,
mon passeport pour l'Afrique... De plus il était bon : 25 000 BEF environ
en plus de l'indemnité en Belgique, logement de fonction, visas et billet d'avion,
et le statut de volontaire qui me permettrait de faire "sauter" mon
service militaire (obligatoire en Belgique à l'époque).
Oups...
Ecole Privée à Programme Belge de Goma
Cette béatitude aura
été de courte durée. Trois jours plus tard, L'Université de Lumbumbashi
(où ma marraine enseignait pour sa dernière année en Afrique) était le théâtre
d'un carnage sanglant, masqué par certaines autorités locales. Ce fut une
nouvelle crise entre la Belgique et le Zaïre, et toute coopération était immédiatement
arrêtée. En ce qui, modestement, me concernait : mon contrat n'avait plus
aucune valeur et je n'aurais pas mon statut de volontaire, donc j'aurais dû, en
principe, effectuer mon service militaire immédiatement...
Mais
(car il y a toujours un "mais") j'avais eu la "bonne idée incongrue"
de demander, en début d'année, le dernier sursis de service militaire auquel j'avais
droit, au cas où j'aurais eu besoin d'une année supplémentaire pour terminer mes
études ;) Renseignements obtenus auprès de l'armée : "T'as un sursis,
fieu, alors tu viens pas chez nous avant un an ou alors c'est des tas de papiers
à faire, une fois". Tant qu'à attendre...
L'Ecole
Belge s'est donc réorganisée en école privée, financée par les parents...qui en
avaient déjà eu l'occasion auparavant vu les bonnes relations Belgique-Zaïre à
l'époque. Sa représentante m'a recontacté, voulant toujours m'engager, avec
un nouveau contrat à la clé... Pas de statut de volontaire et pas d'indemnité
en Belgique. Bon, allez, je signe : si la coopération reprend, je n'aurai
"perdu" qu'un peu, sinon je devrai rentrer au bout d'un an pour faire
mon service, mais j'aurai vécu quelque chose. Je n'aurai pas fait tous ces
efforts pour rien !
Aucun de ces deux scénarios ne se sont
réalisés : au bout d'un an j'ai évité l'évacuation en rentrant dès la fin des
cours, et pour mon service militaire j'ai été réformé... Grâce à la malaria
que j'avais eue en Afrique ! Trêve de préliminaires, parlons de l'école...
Entrée
de l'école belge, sur la route vers le Rwanda Nous n'utilisions jamais l'entrée
principale : l'entrée "véhicules" sur le côté était tellement plus
pratique ! | L'écoleJ'étais
arrivé le samedi à Goma (voir page "Chez
moi"), et ce lundi matin je commençais à m'installer dans mon appartement,
sachant que la rentrée scolaire était pour le lundi suivant. Il
y a dû avoir un "glitch" quelque part... Car vers 7h30, en caleçon
sur le pas de ma porte, j'écoutais un des représentants de l'école m'expliquer
que la rentrée se faisait aujourd'hui, et que tout le monde m'attendait à l'école
! Vite, trouvons un pantalon et une chemise... Il
m'a conduit à l'école, où je suis passé par un rang d'honneur constitué par des
parents souriants mais visiblement impatients. Gloups... |
Impressionné,
j'ai rejoint mes futurs collègues et le comité des parents (qui gèrait l'école)
pour une "réunion d'urgence" pendant que les parents et enfants attendaient
dans le couloir.
"Bonjour Pierre. Nous
avons un petit problème : Monique n'a aucune expérience
en 1e année, tandis que toi tu as fait plusieurs stages
à ce niveau : est-ce que tu veux bien lui laisser
la classe de 3e que nous t'avions annoncée et prendre
la 1e ?"
"Mais...euh...c'est
que...j'ai apporté toute une malle de matériel pour la classe de 3e, et rien pour
la 1e !" ai-je répondu stupidement... "Oh
! C'est merveilleux ! Peux-tu me donner ce matériel ?" a
très intelligemment répondu l'autre enseignante... |
Monique et sa classe de 3e année
|
Et voilà
comment je me suis fait avoir... Pour mon plus grand bien. Je vous
parlerai de ma classe de première année sur une
autre page (elle mérite bien ça), mais il faut que je mentionne ici un des
éléments de cette réussite inattendue...
Cette réunion terminée,
juste avant de prendre les classes en charge, un parent québécois très dynamique
est venu me trouver et m'a confié :
"J'suis bin
heureux que ce soit toué qui soit l'professeur de mon fils en première année"
Ce à quoi j'ai répondu :
"J'espère
que je serai à la hauteur ! Je n'ai aucune expérience à part les stages
!"
Et il m'a dit, avec un grand sourire :
"C'est bin ça : tu as la motivation, l'idéalisme et la fraîcheur de la
jeunesse !
J'ai bin confiance ! Tu vas faire un travail formidable !"
Christian
rassemble ses élèves après la récréation. Nous avions un emploi du temps et
un calendrier typiquement belge, sauf pour la pause de midi à 14h. | Montjoie
! Saint Denis !Aurais-je crié si j'avais eu du sang
bleu (et surtout la carrure de Jean Reno). Au lieu de cela,
je suis allé faire face, pour la première fois, à mes 18 schtroumpfs de première
année, sous les yeux attendris des parents. Avant de clôturer
provisoirement ce chapitre, en attendant la page "ma classe", mentionnons
qu'ils ne furent bien rapidement plus que 16, mon exigence étant qu'ils sachent
au moins écrire leur prénom et dire quelques mots en français : un élève est donc
retourné en maternelle, et une autre est allée à l'école zaïroise. Françoise,
qui tenait une des deux petites écoles maternelles de Goma, fut une collaboratrice
extraordinaire, m'aidant et demandant de l'aide. |
L'écoleEtait
composée de plusieurs bâtiments bizarres, dispersés dans une grande plaine aux
côtés inégaux, en pente depuis la route, magnifique terrain de jeu pour les enfants.
Le bâtiment principal abritait les classes de 2e, 3e et 5e+6e ainsi qu'un secrétariat
et une réserve / salle des profs (où nous n'allions jamais, préférant rester dehors). Dans
la plaine, se trouvaient deux petites constructions pour les 4e et pour ma classe
de 1e année, ainsi que le "petit consulat", ancien consulat belge, vestige
de la "belle époque". |
L'école
belge, vue depuis le petit consulat |
Le
corps professoral était composé de
Béatrice
et sa classe de 2e année | - Votre narrateur
pour la 1e année ; - Béatrice pour la 2e année (ci-contre,
elle habitait de l'autre côté de la frontière et cela lui posait bien entendu
beaucoup de problèmes);
- Monique et ensuite Suzanne pour
la 3e année ;
- Jos pour la 4e année ; - Christian
pour les 5e-6e et la direction. Nous étions tous nouveaux
dans l'école, vous imaginez bien que ce n'était pas facile. Ajoutez
à cela tous les troubles de cette année-là... |
Il
nous est par exemple arrivé plusieurs fois, quelques minutes avant la rentrée
en classe, de recevoir des rumeurs d'émeutes pour la journée, de fermer l'école
puis de reconduire les enfants déjà présents chez eux avec nos voitures, avant
de vite rentrer nous abriter chez nous...
Il y a aussi eu le départ inopiné
de l'enseignante de 3e année en décembre, remplacée par le plus heureux des hasards
par une institutrice belge (Suzanne) qui...passait par là et y est restée !
Quant
à la tornade et au tremblement de terre, je vous en parlerai sur la page de
ma classe.
Tout cela ne nous a pas empêchés d'enseigner toute l'année et
de fournir à nos élèves (une centaine) tout le programme belge au grand complet.
Ce qui veut bien entendu dire que nous étions instituteurs au sens le plus large,
donnant les cours de gymnastique, de religion, de morale, d'activités artistiques,
de néerlandais pour les belges... Le tout à des élèves d'au
moins quinze nationalités différentes, dont le français n'était pas toujours la
langue maternelle, par des profs aux horizons et aux situations tout aussi différentes,
et qui ne s'entendaient pas toujours sur tous les points ;) Quel
trésor ! J'en garde des souvenirs extraordinaires et n'échangerais cette
expérience pour rien au monde malgré les difficultés, malgré les erreurs que nous
y avons tous commises. |
Christian
et sa classe de 5e et 6e années |
Geoffrey : "Hakuna Matata"
("pas de problème !")
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classe