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Congo :

Chez moi, l'arrivée...



Je m'installe !

Je suis donc arrivé à Goma le samedi 8 septembre 1990.

Entre l'aéroport de Gisenyi et Goma, j'ai appris les principes de base de la conduite au Kivu :
(1) foncer ; (2) klaxonner en permanence (pour chasser les piétons) ; (3) faire attention à ceux qui pourraient se (qu'on pourrait) jeter sous les roues (pour gagner sa "vie") ; (4) ne pas s'arrêter pour la police sauf si c'est important (au poste frontière par exemple).

A l'arrivée chez Patrick, j'ai appris autre chose : en arrivant chez soi, il faut aussi klaxonner.  Pour avertir les boys ou boyesses de venir ouvrir le portail.  C'est très surprenant au début, mais on s'y fait vite.

Nous avons ensuite patienté de façon très agréable au bord de la piscine, attendant que (1) les routes bloquées pour MM. Mobutu et Mandela se libèrent ; (2) qu'on retrouve la clé de mon appartement.



Mon appartement à Goma, derrière la Poste.
Je disposais de tout l'étage, également ouvert sur l'arrière.
A droite, la cabine électrique qui a "explosé" plusieurs fois.

Mon appartement

Patrick m'a donc ensuite conduit à l'appartement qui était mis à ma disposition, m'a prêté de l'argent local ("Zaïres") en attendant la semaine suivante, m'a indiqué le centre de la ville avec quelques petits restaurants et m'a fait une dernière recommandation : "si on vient te voir, n'ouvre pas : envoie-les moi : il y aura beaucoup d'arnaqueurs qui apprendront ton arrivée".




Ce conseil s'est avéré primordial : dès le lendemain j'ai eu de nombreux visiteurs...  Des jeunes, des vieux, des hommes, des femmes, des "policiers", des "inspecteurs des impôts", etc.  Souvent, après les avoir envoyés se balader du côté de chez un de mes amis, ils insistaient par écrit.  Je ne vous montrerai pas ici la photo en petite tenue de "Mignonne" que m'a fournie son frère, mais en revanche voici un message parmi d'autres...

"Cher frère Papa

Moi je m'appelle ALLY.  Moi jesu to ami.  Pardonne moi papa, tu voix comme je vous appelle papa pasque ici à Goma je n'as pas de père.  Je des mère lui aussi il reste à Masisi.  Je étudie ici à Goma il est déjà trois foix que je ne partir pas à l'école pasque je manque de Minerval et d'uniforme pasque le touriste qui est ici il n'achète rien de TAM-TAM.  Je vous appelle papa, je vous donne la respe, ici je plere beaucoup papa.  Merci beaucoup.  Je m'appelle ALLY.  Je vous attend le ...  Moi je suis pauvre.  Malheur.  Pasque je ne étudie pas."

Poignant, non ?  Evidemment je ne suis pas resté insensible à tous ces appels, mais je ne suis pas Mère Theresa non plus.




Première soirée

Donc me voilà chez moi : mon premier appartement !  C'est là que je commence à réaliser ce qui m'arrive : premier voyage intercontinental, première fois en Afrique, premier logement, premier boulot...  Tout cela en quelques jours !

Je commence par défaire ma valise (mes malles arriveront trois semaines plus tard) et par l'activité la plus recommandée : installer la moustiquaire au-dessus du lit.  Daniella Liwali, propriétaire et maman d'élève, m'a laissé des rideaux et des draps, tout va bien.

Oups !  18 heures : le soleil se couche, vite une photo.  Bon, allumons les lumières...

Hein ?!  Pas d'électricité !

Bon...  Pas de panique, faisons l'inventaire : j'ai une bougie, deux bouteilles d'eau gazeuze locale et une tablette de chocolat belge.

Premier coucher de soleil à Goma


Disons le franchement : j'ai eu un moment de découragement profond, assis dans ce grand appartement sans aucun moyen de contact (il n'y avait plus de téléphone à Goma depuis longtemps), en sirotant une bouteille d'eau gazeuze à la lueur d'une vieille bougie qu'il ne me fallait pas gaspiller...  "Mais qu'est-ce que je fous ici ?"  A ce moment-là, j'en aurais pleuré.



Chaque soir avant d'aller dormir, le rituel est le même :
10 à 20 minutes de chasse au moustiques dans la chambre,
puis fermeture de la forteresse !

Courage !

Est-ce la musique africaine entraînante et joyeuse, venant d'un café au loin, qui m'a sorti de cette torpeur ?  J'ai surmonté ma peur de sortir seul dans le noir et dans cette ville inconnue, j'ai empoché l'argent que m'avait laissé Patrick et me suis dirigé vers la sortie...

En tâtonnant, j'ai réussi à ne pas me casser la figure en descendant les nombreux escaliers menant de mon appartement à l'entrepôt de camions qui se trouvait derrière.  J'ai appelé le gardien, qui m'a ouvert la porte donnant sur la rue...

Hésitant, j'ai quitté la sécurité de sa lampe de poche pour les ténèbres d'une ruelle inconnue, en plein centre de l'Afrique...




Mon inquiétude n'a pas duré beaucoup plus longtemps : deux ruelles plus loin, j'ai aperçu la rue principale, éclairée et animée.  Je me suis installé au hasard dans une des gargottes qui s'y trouvaient, et j'ai commencé à apprécier mon séjour avec une bonne bière, des brochettes et du foufou.

Un peu plus tard dans la soirée, j'ai rencontré MM. Mobutu et Mandela qui passaient par là...




Vie quotidienne

Mon appartement était grand (180 m² environ) et pratique, sécurisant car à l'étage, bien équipé mais malheureusement bruyant à cause de la discothèque voisine.

Une grande terrasse devant, une autre derrière, une place de parking dans l'entrepôt de camions.

J'avais également une entrée avec un escalier vers l'avant (directement sur la rue) mais j'ai dû rapidement la condamner lors des premières émeutes, en plaçant mes fûts de gasoil pour la voiture devant la porte (côté intérieur).  En fait ce n'était pas très intelligent : plus tard, des militaires ont essayé d'entrer et des balles se sont perdues de tous côtés...  Je ne sais pas si le diesel aurait explosé, mais je suis heureux qu'aucune balle n'ait touché les fûts...

Mon salon et le bar



Walter : cuisinier, intendant,
homme de ménage...

Le lundi suivant mon arrivée, Walter est venu se présenter.  Il avait déjà travaillé pour mes prédécesseurs, donc je l'ai engagé tout de suite et j'ai ainsi fait une autre expérience nouvelle : je suis devenu patron ! 

A peu de frais pour moi il faut bien l'avouer, mais de façon satisfaisante pour lui aussi : ancien instituteur de 1e année (non, ce n'est pas une blague !), Walter préférait travailler comme "boy" (je n'aime pas ce terme) car il avait des horaires plus légers et gagnait deux fois plus !

En prime, il était sûr de recevoir ce salaire ainsi que différents avantages (soins médicaux, congés payés...)

Malgré les troubles et la guerre, nous sommes restés en contact jusqu'en 1996.  Je lui envoyais un peu d'argent en fonction de mes moyens, il me donnait des nouvelles de ses 9 enfants et de sa vie...  Je ne sais pas ce qu'il est devenu à présent.




A part lui et moi, l'appartement était bien rempli avec :
un chat, deux perroquets et...une ribambelle de caméléons !

Un d'abord, puis un deuxième.  Euh, pardon : une deuxième !  Je m'en suis aperçu le matin du...24 décembre (ça ne s'invente pas !) en trouvant les 18 bébés caméléons qu'elle avait laissé tomber au sol !

Avec des cotons tiges et de l'eau, je les ai vite nettoyés (pas facile de laver des bébés de 20 mm) et j'ai pu en sauver quelques-uns.

Le plus compliqué était de les nourrir : comment apprend-on à des bébés caméléons à attraper des mouches ?  Je ne vous raconte pas les séances de chasse avec eux...

Mais j'étais fier : personne dans la ville n'avait entendu parler de quelqu'un ayant eu des bébés caméléons en captivité !

A mon départ, je les ai relâchés dans une parcelle bien choisie, au calme...

Madame Caméléon



Une année agitée

Cet appartement m'a aussi servi de refuge lors des inondations ; et de camp retranché lors des émeutes.  Plusieurs fois j'y suis resté caché des jours durant, valise prête en cas d'évacuation, observant la situation derrière les rideaux : combats entre rebelles, étudiants, militaires, policiers, mutins...  J'ai vu des gens se faire tabasser à coup de crosse de fusil, de matraque, de machette...  Parfois un ami me prêtait une "phonie" pour que nous puissions maintenir le contact, nous prévenir les uns - les autres de la situation près de nos maisons respectives.  Ca donnait des dialogues du style :

"Papa Tango pour Papa Golf (ça c'est moi)"
"Papa Tango écoute"
"Quelle est la situation, à vous"
"J'ai eu de la visite.  Ils ont pris mon 4x4 et de l'argent.
Sont repartis vers l'ancienne résidence, à vous"
"Entendu Papa Tango.  Désolé.  Tout le monde va bien ?  A vous."  Etc.

C'est à Goma que je suis devenu familier avec les coups de feu de différents calibres, avec le bruit du mortier et du canon, principalement venant de la frontière du Rwanda -entré en guerre un mois après mon arrivée- à moins d'un kilomètre de chez moi.  Il y eut quelques nuits blanches !

Curieusement, on s'habitue à tout cela : il m'est arrivé de sortir dans des conditions indescriptibles pour aller rejoindre d'autres expatriés et faire la fête, avec parfois des explosions en bruit de fond !
On se souviendra particulièrement de notre giga-fête de Noël (pendant deux jours) chez Danielle Lebecq, ainsi que d'une soirée géante chez Lola.  Auparavant, dans une ambiance plus calme, il y avait eu une très chouette soirée chez moi pour mon anniversaire (trois jours après la tornade et un mois avant le tremblement de terre...voir plus loin). 

Malaria

Cet appartement m'a aussi vu rentrer un jour de l'école, un peu patraque, vers 9h30 du matin (c'était le 4 juin).  Vers 11h, je n'étais plus seulement "patraque" : j'étais blotti sous toutes les couvertures et les pulls que j'avais pu trouver, gelé malgré la température de plus de 25 degrés.  Walter ne savait pas quoi faire, et avant que je ne puisse réaliser que j'étais en train de faire une crise de malaria, je suis entré dans un semi-coma.  Première chance : sans savoir ce qui se passait, Nymed (doctoresse au dispensaire) est passée vers midi chez moi, pour récupérer je ne sais plus quoi.  Elle m'a raconté ce dont je ne me souviens pas : elle m'a trouvé en plein délire, avec 42.5° C de fièvre (je ne savais même pas qu'on pouvait aller si loin sans mourir) et m'a immédiatement administré les soins d'urgence (quinine pure...  Wow !)  Il paraît que si elle était venue quelques heures plus tard, je sortais en corbillard.  Au lieu de cela, j'ai pensé au suicide : pendant trois jours, j'ai eu l'impression que mon corps n'était plus qu'une immense crampe permanente : c'était horrible !  Ma deuxième chance : j'ai eu une forme de malaria que l'on ne garde pas, et donc je n'ai donc plus jamais fait de crise, au contraire de certains qui en font toute leur vie.  Vous me direz : "tu es fou, tu aurais dû prendre des préventifs !" et je vous répondrai que j'ai pris de la Nivaquine et de la Paludrine tous les jours...sauf deux où j'ai oublié, juste avant cette crise...

Electricité

C'est aussi à Goma que j'ai réalisé l'importance d'un bien que nous considérons d'habitude en Europe comme simple et garanti : l'électricité.  A Goma, je l'avais environ la moitié de la semaine, mais il m'est arrivé plusieurs fois d'en être privé pendant plus de 5 jours.  Bien entendu, c'est le frigo et le congélateur qui y passent en premier...

Mais il ne s'agissait pas que de coupures...  Le 26 mai j'ai vu un câble souterrain "exploser" et sortir de terre à quelques mètres de chez moi !  Quant à la cabine de transformation à côté de mon appartement (voir photo en haut de page) elle a "sauté" plusieurs fois pendant l'année, jusqu'au bouquet final le 29 juin...  Depuis la terrase de mon appartement, je filmais le technicien qui remplaçait une fois de plus les gros fusibles par des morceaux de fers à béton.  Il a dû mettre ses mains au mauvais endroit...  Soudainement il a a eu un grand "flash" avec un énorme bruit d'explosion qui a fait trembler l'appartement.  Le "technicien" a été projeté à plusieurs mètres et brûlait.  Pas ses vêtements, car l'explosion l'avait complètement déshabillé, c'était son corps qui brûlait !  Bien entendu j'ai déposé la caméra...  C'est la seule fois où j'ai gentiment attendu le rétablissement de l'électricité sans me plaindre.


Pas mal, direz-vous...  Mais ce n'est pas tout : 
il y a encore bien des choses à raconter pour les pages suivantes...



Derrière chez moi, les volcans : Nyiragongo, Nyamuragira, Mikeno...
C'est le Nyiragongo, à gauche, qui est entré en éruption dix ans après mon départ,
le 17 janvier 2002, répandant sa lave à travers la ville...

(Panorama reconstitué à partir de deux photos séparées,
la perspective n'est pas tout à fait respectée)

 

C'est le 4 juillet 1991 que j'ai quitté Goma en catimini, pour ne pas me faire rançonner (militaires, douaniers...) avec l'aide de Danielle.  Pendant qu'elle me conduisait à la plaine, Walter et quelques amis restaient chez moi et faisaient du bruit comme si j'étais là ;-)  Je ne suis pas le seul à être sorti de cette façon !  Hé, ça fait des sacrés souvenirs :-)

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Page créée le 5 mai 2001 -  Mise à jour le 19 janvier 2002

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