L'article qui suit vient du Courrier
du Vietnam, le seul quotidien officiel francophone du pays.
Il
m'a particulièrement touché, et la rédaction du Courrier
m'a gentiment autorisé à le reproduire ici pour notre plus grand
plaisir. Si j'ai la chance de rencontrer un jour Monsieur Giang, je vous en ferai
part ici aussi. Bonne lecture !
Pham Quang Giang,
98 ans, doyen des cyclos de Hanoi
À 98 ans, Pham
Quang Giang a fait tous les métiers,
de cireur de chaussures à
soldat de l'armée populaire du Vietnam.
Aujourd'hui, c'est le plus
vieux cyclo de Hanoi.
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Pham Quang Giang n'est ni une vedette de la chanson vietnamienne,
ni une star du football national, ni un artiste reconnu et décoré.
Il n'est pas milliardaire. Mais à Hanoi, tout le monde le connaît.
Son visage a été immortalisé par les meilleurs photographes
de la Capitale. Cette célébrité, il la doit à son
cyclo. Et à son âge : à 98 ans, le vieil homme continue de
transporter tous les jours touristes et Hanoiens à la seule force de ses
mollets. "Je me suis engagé dans le monde des
cyclo-pousses en 1978 quand j'avais 74 ans, raconte M.Giang en souriant dans sa
barbiche blanche. A ce moment-là, je n'avais pas d'autres choix. Pas de
terre à cultiver, ni de fonds pour faire du commerce. Alors j'ai décidé
de labourer la chaussée pour gagner de quoi nourrir mes cinq jeunes enfants
(issus de sa troisième femme, NDLR) et trois neveux orphelins." M.Giang
tient la forme, et garde le moral. |
Pour
lui, l'heure de la retraite n'a jamais sonné et ne sonnera sans doute jamais,
mais cela n'entame pas sa joie de vivre. Son cyclo est devenu son compagnon indispensable,
et il n'en a jamais changé bien que le véhicule se soit dégradé
au fil du temps.
Une traversée du XXème
siècle
Né en 1904 d'une famille métayère
qui travaillait dur toute l'année dans le district de Thanh Binh, province
de Quang Nam (Centre), Giang a quitté les siens à l'âge de
13 ans pour se rendre à Saigon. "Esseulé dans une contrée
inconnue et sans métier, j'ai été obligé de mendier.
J'avais honte mais je n'avais pas d'autre issue", se souvient le vieil homme.
Laver la vaisselle, porter de l'eau, cirer des chaussures et enseigner les arts
martiaux. Quelques uns des métiers qu'a exercé Giang pendant 14
ans à Saigon.
Avec une fortune de 100 piastres (ancienne
monnaie indochinoise), Giang retourne en 1931 dans son village natal pour payer
les dettes de son père. Il se marie et s'engage comme tirailleur dans l'armée
coloniale. En 1944, sa vie bascule, il décide de rejoindre le Viêt
Minh (mouvement indépendantiste vietnamien) et entre dans la garde nationale.
Pham Quang Giang participe activement aux combats contre les Français.
"La guerre a laissé des cicatrices sur mon crâne, mon bras et
mon genou", souligne-t-il. En 1955, il rejoint le Nord. Ses deux femmes (il
est adepte de la polygamie) et dix enfants restent au Sud. "Depuis, je retourne
les voir deux fois par an", affirme M.Giang. Démobilisé en
1960, l'ancien combattant est embauché à la brasserie de Hanoi.
Il la quitte à l'âge de 71 ans, et acquiert un cyclo pour continuer
de gagner de quoi vivre.
Une journée à pédaler
"Il
est toujours ponctuel, dit la propriétaire d'une buvette de thé
à la gare de Hanoi. Tous les matins, il se trouve à 9h devant la
sortie du train Nord-Sud." Simplement vêtu de ses habits d'ouvrier,
une serviette sur l'épaule pour s'éponger lors des coups de chaud,
M.Giang se mêle à la foule des "xe ôm" et des conducteurs
de taxi qui stationnent devant la gare. "Il ne nous dispute jamais notre
clientèle", témoigne un autre cyclo, respectueux.
Le
vieil homme habite au fonds d'une ruelle tortueuse. "En bas de la pente,
à côté de la brasserie, et vous y êtes. Tout le monde
le connaît ici", indique le propriétaire d'une boutique située
au début de la rue Hoàng Hoa Tham. Sa maison simple est entourée
par des bâtisses modernes à étages. Quelques chaises en plastique,
pas de télévision, ni de meubles. "Je dors sur la mezzanine
en bois et pour m'occuper j'écoute la radio", raconte le vieux cyclo
dans un rire. Ses journées sont strictement réglées. "Il
se lève à 4h pour faire de la gymnastique, prend le petit déjeuner
à 7h, va au travail à 8h30. Le soir il se couche à 9h, et
se réveille à minuit pour faire du yoga pendant une heure avant
de se recoucher", souligne sa troisième femme, plus jeune que lui
de 33 ans.
Sur son véhicule, M.Giang s'infiltre dans
tous les coins de Hanoi. "Je suis le seul à pouvoir circuler autour
du lac Hoàn Kiêm". La conduite en cyclo à cet endroit
est en effet interdite, mais le vieil homme fait l'objet d'une dérogation.
Le privilège de l'âge, sans doute. Car dans le monde des cyclos de
Hanoi, M.Giang a la réputation d'un "homme de luxe", voire d'un
esthète. Neuf bols de riz, un quart de litre d'alcool ou six verres de
"bia hoi". C'est son régime quotidien, et exceptionnel comparé
aux autres cyclos. En attendant la clientèle, il lit son journal, le Nhân
Dân (journal officiel du Parti), ou des livres sur le kung-fu chinois, et
des poèmes.
Lors des jours fastes, quand il transporte
beaucoup de touristes étrangers, M.Giang peut gagner "100 dollars".
C'est très rare, et certains soirs, le vieil homme rentre à la maison
les poches vides. Personne ne devient riche en conduisant un cyclo. Mais M.Giang
est content de son sort. "C'est la vie. Je suis en paix. La richesse et l'honorabilité
sont des dons du Ciel. Mais une bonne santé pour travailler et nourrir
trois femmes et quinze enfants, c'est aussi un cadeau divin."
Huong
Giang
Le Courrier du Vietnam - 02/08/2002